Travaux

Maidières (1)

"Dans le village, on ne disait jamais d'une femme qui avait des enfants "madame" mais "la mère". Toutes les mères se ressemblaient. C'étaient des femmes à rides et à larmes. Leurs mains tannées sentaient l'ail. La mienne avait beaucoup pleuré, elle avait des lacs de larmes derrière ses lunettes mais le reste du visage, du front à la bouche, continuait de sourire, la voix aussi...

Nous n'allions pas aux champs, moi manger les groseilles, elle ramer les haricots, sans rencontrer quelques femmes du village... Je ne sais pas comment elle trouvait le temps de tenir son ménage, de préparer les repas. Elle était si souvent aux bois et aux champs, ou à faire sa lessive ou celles des autres, en journée...

Je la voyais pétrir la pâte et cuire le pain de la semaine dans le four commun de la maison, mettre en bouteilles les mirabelles, les pois, les haricots verts, les conserves pour les provisions d'hiver...
On y respirait cette quiétude que donnent un bon feu pendant l'hiver, une marmite qui chantonne, une grande horloge avec le tic-tac de son balancier, et ce mélange des odeurs de confitures et de légumes qu'on dirait être une odeur de l'honnêteté...

Ma mère, le dimanche, n'allait pas à la messe. Le temps lui manquait. Quand nous allions aux bois... auprès des grands chênes abattus, dans le branchage que laissaient les bûcherons, elle taillait de la serpe les rames pour les haricots, les pois et aussi le bois de notre provision d'hiver. A l'époque des asperges sauvages, des mûres, des fraises, des champignons, des noisettes, nous allions ensemble dans la forêt... Ca sentait bon le terreau de feuilles, le muguet ou la fraise écrasée..."

                                               Extraits de Travaux, Georges Navel, Editions Stock, 1945

(1) Maidères est un petit village proche de Pont-à-Mousson, lieu de naissance de Georges Navel.